le port de Cerbère vu depuis les hauteurs

Stage Croisière – tous niveaux – Cadaquès

Embarqué, bateau Salona 37

🗓️ du 17 au 29 juin 2025 (12j)

Cette année, ce sont des vacances bien particulières qui s’annoncent. Car ce ne sont pas des vacances à proprement parler, mais plutôt une interruption dans une grosse phase de travaux. Environ 6 mois plus tôt, Florian et moi déménagions dans les Pyrénées-Orientales. Depuis, nous avons enchaîné le travail, et les travaux, presque sans interruption. La veille du départ, nous étions encore en train de faire des joints de silicone et de fixer des plinthes, histoire de pouvoir prendre une douche avant de partir.

Jour 0 – Samedi 17 mai

Port de Sète

 

C’est un jour magnifique qui s’annonce pour notre départ en stage. La journée est pleine de bonnes nouvelles puisque nous avons eu le temps de prendre une douche, les travaux de la salle de bain étant finis depuis la veille à 2h du matin. Vive les temps de séchage…

De Perpignan, le trajet jusqu’à Sète est rapide, il y a tout juste 2h de route. De Paris, il faudrait prendre le train jusqu’à Montpellier puis le TER pour Sète.

C’est bizarre et presque trop beau de partir en stage aussi près, en passant par des routes qu’on connaît. Cela dit, nous ne connaissions pas Sète et son port, et nous avons bien tourné en rond en cherchant le point d’accueil des Glénans. La petite baraque en bois flanquée du drapeau blanc et son fameux bateau était planquée à l’extrémité est du bassin du midi. 

Sous le soleil écrasant de la mi-journée, Flo et moi rejoignons notre groupe et notre bateau, un Salona 37 nommé « Vanzetti », que nous nous hâtons d’investir pour trouver un peu de fraîcheur. Le stage commence dans le carré, avec un tour de table pour découvrir le groupe hétéroclite avec lequel nous allons cohabiter pendant 2 semaines: Cyril, le moniteur, le plus jeune d’entre nous mais très certainement le plus dégourdi; Marie-Sophie et René, un couple de retraités pratiquant la voile occasionnellement, Bruno, venu découvrir la voile dans l’idée d’en faire son futur passe-temps à la retraite, et Nathann, un jeune qui doit avoir notre âge et qui vient faire son deuxième stage pour étoffer ses connaissances. Et puis nous, stagiaires Glénans aguerris mais peut-être un peu rouillés après 1 an et demi sans faire de bateau. La disparité de nos expériences est une belle image de ce que veut dire « stage tous niveaux ».

bateau glénans salona 37

Le Vanzetti, un Salona 37 des Glénans dans le port de Sète

Bien qu’il s’agisse d’un stage « tourisme », nous n’échappons pas à nos devoirs sur le bateau. Les premières discussions sont de l’ordre pratique: attribution des cabines, inventaire du bateau, location des cirés. Après avoir fait le planning de nourriture pour les prochains jours, nous filons faire l’avitaillement au supermarché du coin, armés de trois caddies et de nos listes de courses. Comparé à d’autres stages, nous avons l’air plutôt bien organisés pour nos futures bordées.

Ce stage sera « l’exception qui confirme la règle »: contrairement à tous les autres stages où les Glénans mettent un point d’honneur à nous faire naviguer dès le premier jour, même juste une heure, ici nous sommes bloqués au port par l’ouverture des ponts de Sète, qui va dicter notre départ pour le lendemain matin. Nous avons donc tout le temps de faire un premier topo sur la sécurité et revoir les nœuds de base, pour faire une première mise à plat de nos connaissances.

Nous dînons ensemble sur le bateau, puis chacun se retire dans sa cabine. Une banquette deux places et un petit placard qui permet de ranger quelques affaires, aussi spartiate que d’habitude.

coucher de soleil dans un port

Coucher de soleil dans le port de Sète

bateau dans un port la nuit avec un matelos dans le carré

Soirée sur le Vanzetti dans le port de Sète

Finalement, je suis un peu rassurée par cette première journée plutôt douce, qui me permet de récupérer de ces dernières semaines très agitées.

1er jour – dimanche 18 mai

Sète -> Cap d’Agde

 

Les ponts de Sète ouvrent à 10h et il vaut mieux ne pas être en retard, si on ne veut pas se retrouver bloquer jusqu’au soir. C’est donc bien à l’avance que nous grimpons sur le pont. J’ai bien dormi et je me sens un peu plus vaillante que la vieille. Florian lui a des douleurs au bras qui le réveillent sans cesse, ce qui ne l’aide pas à être dans son assiette, mais je sais qu’il est coriace.

Nous passons les ponts et sortons du port en douceur, au milieu d’une vingtaine d’autres bateaux. C’est le moment de reprendre les bonnes habitudes et de se remémorer les manœuvres. Nous envoyons la grand-voile avant de passer le môle et de se retrouver livrés au vent du large. Le golfe du Lion nous attend, avec une mer ridée et juste un peu de vent pour nous pousser, sous un ciel bleu magnifique.

J’ai le cœur qui bat fort de refaire tous ces gestes qui me semblaient si loin. Je dois y réfléchir à deux fois. Ça revient doucement. Cyril est très vigilant avec nous, et nous prodigue conseils et consignes de sécurité.

pont à bascule en train de s'ouvrir vu depuis un bateau

Ouverture des ponts de Sète pour laisser passer la flopée de bateaux

La matinée est très tranquille avec un long bord de bon plein / travers. Il nous faut une remise en jambe progressive car nous avons des niveaux très disparates. Une fois les voiles lancées et réglées nous pouvons nous détendre un peu et regarder le paysage. On ne voit pas encore les montagnes par contre on distingue bien la colline d’Agde, qui sera notre objectif de la journée.

la colline d'agde depuis la mer

« On distingue bien la colline d’Agde,  qui sera notre objectif de la journée. »

À midi, pour ne pas s’effrayer tout de suite, nous faisons une mise à la cape pour arrêter le bateau et manger à peu près tranquillement. Cyril en bon professeur nous a préparé une purée, pour nous laisser le temps de nous acclimater au bateau avant de nous envoyer en bas faire à manger, histoire qu’on ne vomisse pas le premier jour.

L’après-midi se veut un peu plus énergique que la matinée: on commence par des prises de ris et lâchers de ris pour adapter notre grand-voile. S’ensuit un premier exercice d’objet flottant à la mer en complète improvisation, qui se solde par une récupération en une vingtaine de minutes et un équipage un peu pantois devant son inefficacité. Notons tout de même que nous l’avons récupéré.

Finalement, nous atterrissons à Agde en fin d’après-midi. Premier jour, première manœuvre de port pour moi. C’est un de mes objectifs de stage alors je tâche de me concentrer. La barre, le moteur, avant/arrière, regarder devant, derrière, sur les côtés, essayer d’anticiper les mouvements du bateau dus à l’inertie… Évidemment, j’ai des progrès à faire et ma trajectoire de « créneau » est complètement ratée. Cyril reprend la barre, il est trop tard pour répéter l’exercice.

port du cap d'agde sous le soleil

Le port du Cap d’Agde

Une fois le bateau amarré et rangé, c’est l’heure du point traditionnel de début de stage, pour parler des envies de chacun. Notre liste se remplit des classiques « envoi de spi », « manœuvres de port », « préparer une navigation », « faire la liaison carte-paysage » mais aussi des spécificités d’un stage de tourisme, à savoir « voir Cadaquès ».

Et puis, comme c’est quand même les vacances, nous finissons au bar du port pour fêter notre première journée de bateau.

2ème jour – lundi 19 mai

Cap d’Agde -> Gruissan

 

La nuit est calme au port du Cap d’Agde, mais le lendemain matin un avis météorologique de « vent frais » nous garde au port jusqu’à midi. On entend bien le vent siffler dans les mâts et les drisses claquer quand on passe la tête à l’extérieur.

Nous profitons de cette matinée pour réviser les chronologies des manœuvres de base: empannage, virement de bord. Notre exercice d’homme à la mer de la veille fait débat: qu’est ce qui n’était pas bien, comment faire mieux ou autrement. Les camarades ont une fâcheuse tendance à se couper la parole, ce qui a le don de m’agacer et je finis un peu tendue.

Nous déjeunons au port, en attendant le feu vert du responsable pour partir. Le vent finit par se calmer et nous avons l’autorisation de larguer les amarres. Checklist de départ, remplissage de l’eau, mise en place de l’étai largable pour accueillir le solent, la voile de gros temps. Nous partons en début d’après-midi, sous les nuages et dans une mer plutôt belle.

J’ai de nouveau droit à la barre pour la manœuvre de sortie de port, aidée par Cyril. Mon petit cœur bat vite. J’essaye de parler fort pour que tout le monde m’entende. C’est bizarre de donner des ordres… je suis en nage psychologique mais on s’en sort bien ! J’ai réussi à ne pas taper les bateaux voisins, et Cyril n’a (quasiment) pas repris la barre ou le moteur. Chaque instant de pratique compte…

Je garde la barre pour la sortie de port, tandis que les camarades hissent les voiles. Nous nous relayons ensuite sur un long bord de bon plein / travers. Le temps est plutôt tranquille et nous allons tout droit vers le sud.

stagiaire à la barre pour la sortie du port

Mathilde à la barre pour la sortie du port avec Cyril, le moniteur

En prévision de l’arrivée d’un vent plus frais en fin d’après-midi, nous faisons un exercice de prise de ris, pour nous agiter un peu. C’est un des seuls événements notables du bord.

Après avoir fait une petite sieste dans ma cabine, la mer qui commence à forcir doucement m’attire de nouveau sur le pont. Nous surfons sur les vagues et ça me donne le sourire. La mer a pris une couleur argentée dans le jour déclinant.

stagiaire glénans à la barre avec le moniteur

Florian à la barre avec Cyril, le moniteur

stagiaire glénans sur un bateau à la gîte

Un peu plus tard, autre ambiance. Nous surfons sur les vagues et ça donne le sourire à Nathann ^^

Nous virons tranquillement vers le port de Gruissan en contournant une zone de pêche. Le ciel se fait noir et menaçant et le temps que nous arrivions dans le port, l’orage s’est mis met à gronder et des éclairs pourfendent régulièrement le ciel dans un éclat blanc. Les nuages sont lourds et nous pressent de rentrer nous mettre à l’abri.

Nous rangeons le pont en toute hâte, motivés par les douces odeurs du curry qui se prépare dans la petite cuisine. Au moment où le dernier d’entre nous referme sur lui la descente, la pluie se met à tomber drue. Le timing est parfait… À l’abri dans notre étuve aux douces odeurs de curry, bien au sec, un petit air de fête semble flotter dans l’air. Alors que jusque là je me sentais un peu distante de nos compagnons, cette expérience nous rapproche un petit peu et leurs visages me semblent moins étrangers.

J’ai mangé du curry à n’en plus pouvoir. C’était absolument délicieux et il n’est plus rien resté dans la casserole. Curry sucré-salé de pommes et bananes. J’adore ce genre de découverte culinaire qu’on fait en stage.

3ème jour – mardi 20 mai

Gruissan -> Llança

 

L’avis de grand frais nous poursuit encore aujourd’hui et nous tient au port de Gruissan toute la matinée. Je peux cuisiner tranquillement notre repas du midi, et nous faisons un petit topo cartographie très rapide. Il faut dire que ce n’est pas la plus grosse difficulté en méditerranée, ici pas d’estrans ou de calculs de marée. C’est l’occasion de se reposer, car cet après-midi nous avons 50 miles nautique à parcourir pour descendre jusqu’à Cerbère. Ça promet d’être long, on arrivera probablement de nuit.

port de Gruissan

Le port de Gruissan au petit matin

Nous partons peu après manger, sur les coup de 14h30. Le vent souffle encore très fort, tant et si bien que nous avons mis une bonne demi-heure pour nous amarrer devant la capitainerie, le bateau sans cesse repoussé du quai par les rafales. J’ai rigolé en disant qu’on aurait été plus rapide à pied, mais c’était un bon exercice.

Finalement, nous quittons Gruissan sous un beau ciel bleu, et sous solent seul car avec 25 nœuds (~45hm/h) de vent et des rafales à 40, on a largement assez de toile. On a enregistré des pointes à 10 nœuds (~18km/h) avec une seule voile !

Nous traçons droit vers le sud, passant devant Port La Nouvelle, ses pétroliers et ses cimenteries qui se découpent dans le ciel. Sans doute la partie la moins charmante du voyage. 

Nous nous approchons petit à petit de la maison. Le Canigou apparaît au loin, caché dans les nuages. Nous tournons à la barre, sur des tranches de 1 à 2 heures. La Côte Vermeille défile: Leucate et ses éoliennes plantées sur la montagne, les barres d’immeubles de Canet et St Cyprien, la longue plage d’Argelès-sur-mer.

stagiaire glénans à la barre avec une vague dans la figure

25 noeuds de vent, ça secoue et ça mouille !

éoliennes sur des collines

Les éoliennes de Leucate qui se découpent dans le ciel

stagiaire et moniteur en train d'arisé une grand-voile

Florian et Cyril en train d’ariser la grand-voile, avec les Pyrénées en fond

La journée s’étire lentement et dans la nuit tombante nous dépassons Banyuls, nichée dans son anse, toute illuminée contre les flancs sombres des montagnes. De la musique s’élève du cockpit. Je me laisse envahir par l’émotion et les souvenirs, c’est comme si je revivais la fin de la traversée des Pyrénées. Je revois notre arrivée, exsangues, maman qui nous rejoint, les soirées sur la plage, encore un peu ébahis par les deux mois passés. Le passé s’entremêle avec le présent, tissant une toile de souvenirs. J’en ai les larmes aux yeux. 

Malgré notre arrivée proche, Flo et moi cuisinons tout de même le repas du soir, des tagliatelles à la carbonara préparées avec amour à 45 degrés d’inclinaison (dû à la gîte du bateau). Les corps qui commencent à être fatigués par cette longue navigation se régalent, tout en profitant de la beauté du crépuscule.

Cerbère ne tarde pas à apparaître dans notre viseur. La nuit est complètement tombée maintenant et je crois que nous sommes tous un peu las et contents d’arriver. On est parti depuis au moins 7 ou 8 heures. Bruno allume le moteur. Enfin… tente d’allumer le moteur.
Une fois. Deux fois. Trois fois. Cyril prend le relais.

Flo et moi qui sommes dans la cuisine passons une tête par la descente, vaguement conscients que quelque chose ne va pas. Un petit moment de flottement précède l’évidence: le moteur nous a lâché. Il va falloir faire une entrée de port à la voile.

Je raconte la suite de mémoire et avec l’aide du livre de bord car il s’est passé tellement de choses que les événements se mélangent dans ma tête.

Cyril nous fait renvoyer les voiles. Dans la nuit, et avec le vent de terre forcissant, ce n’est pas une mince affaire. Sur le mât, le coulisseau du haut est récalcitrant… Cyril vient se charger d’étarquer la grand-voile qui ne veut pas remonter. Il tourne et tourne la manivelle de winch, et… paf ! Dans un chuintement, la drisse nous abandonne et la grand-voile s’affaisse mollement le long du mât.

Nous voilà donc sans moteur, et sans GV. Il devient encore plus difficile de rejoindre le port. Nous faisons des tours et des détours pour nous éloigner de la côte le temps de ranger en catastrophe la toile qui ballotte. Bruno, à la barre, représente plutôt bien la surprise avec laquelle cette situation nous a prise: il n’a toujours pas eu le temps de quitter ses lunettes de soleil, bien que la nuit soit tombée depuis au moins une heure.

À peu près tous de retour dans le cockpit, et une paire de lunettes de vue plus tard, nous voici tous cramponnés à nos postes. Florian s’active au piano quand une vilaine embardée du bateau le fait perdre l’équilibre et atterrir sur Marie-Sophie qui pousse un petit cri de douleur. La cheville a pris un choc. Rien de cassé on dirait, mais il faut s’y mettre à trois pour la redescendre dans sa cabine, à l’abri de tout autre accident. Marie nous assure que ça va aller, et nous sommes assez nombreux là-haut pour continuer de manœuvrer.

Le vent a encore forci et nos tentatives pour récupérer de la voilure nous ont fait dériver bien au large du port de Cerbère. Avec notre solent seul, nous tentons de remonter au vent pour rejoindre les petites lumières annonciatrices de la civilisation. Cyril m’envoie à l’avant avec une lampe de poche pour repérer les éventuels coffres dans lesquels notre safran pourrait venir se coincer. A quatre pattes, attachée à la ligne de vie et penchée au-devant du balcon avec ma petite frontale, je me sens minuscule face à l’immensité de la mer. Quelques minutes plus tard, je suis récupérée dans le cockpit. Visiblement le risque est plus grand que le bénéfice présumé.

Il est bientôt minuit. Cela fait presque deux heures que nous avons eu notre première avarie, celle du moteur. Il fait nuit noire et je commence à sentir la fatigue qui surpasse l’adrénaline. Le port se rapproche lentement. Il faut lofer pour garder notre cap vers le phare, mais avec seulement le solent nous n’arrivons pas à tenir le cap et nous dérivons trop à bâbord, vers les rochers. Cyril tente à nouveau de border la voile d’avant, dans l’espoir que nous puissions remonter un peu plus près, un peu plus….

Crac! La voile d’avant s’affale d’un coup dans un grand bruit. La manille de la drisse aussi a lâché. Je suis sûre d’avoir entendu Cyril jurer.

Complètement à sec de toile, nous n’avons d’autre choix que de nous éloigner de nouveau des côtes. Je suis un peu choquée par cet acharnement du sort. L’inquiétude commence à m’étreindre les côtes. Je sais que je suis une trouillarde, et là en plus je suis en passe de m’endormir debout. Je sais ce que me fait la fatigue: broyer du noir. Il me semble que la situation est désespérée. Mais Cyril ne se laisse pas décourager et nous fait envoyer le génois, car il nous faut conserver de la vitesse pour rester manœuvrant. La toile nous fait le plaisir de ne pas se dégonder, se déchirer ou toute autre surprise désagréable, mais voilà que c’est une écoute qui décide de rendre l’âme, et qu’il faut remplacer en catastrophe au milieu des grands claquements de voile.

Il est une heure passée. Marie est dans sa couchette, Nathann dans le carré au relais GPS, bravant vaillamment sa fatigue. Bruno reste droit à la barre. Florian et René s’occupent des écoutes de génois, du piano. Cyril regarde le GPS, gère toutes nos galères et nos faiblesses, et doit monter mille plans dans sa tête. Moi je me suis planquée dans la descente, à mi-chemin du pont et du carré, ni tout à fait là ni tout à fait pas là. Je distribue eau et victuailles pour nous aider à garder un peu de forces. Mes bras sont en pelotes, je me sens incapable d’étarquer la moindre petite voile à force de courir partout sur le pont. Nathann essaye de me rassurer: « Tant que le bateau flotte, il n’y a rien à craindre ». Je le sais bien, mais au milieu de la nuit, épuisée et à 45 degré d’inclinaison, avec l’impression que la moitié du bateau part en morceaux, c’est difficile à croire.

Nous avons finalement dérivés au sud de Cerbère. Il semble évident que nous n’arriverons pas à entrer dans un quelconque port. Le plan de notre mono consiste à se rapprocher le plus possible de la côte dans une zone appropriée et de jeter l’ancre pour la nuit. Ainsi le bateau sera en sécurité le temps de se reposer un peu et de réparer ce qui peut l’être.

Nous approchons doucement de la côte, mille après mille. Le bateau semble s’apaiser. Je suis rassurée par cette solution. Lorsque la profondeur se trouve convenable, on jette l’ancre.

Aussitôt que l’ancre a touché le fond, je m’écroule de fatigue dans ma couchette, bientôt rejointe par Florian. Le roulis des vagues rend la nuit agitée en plus d’être courte. J’ai dû m’endormir vers 3h30.

4ème jour – mercredi 21 mai

 Llança  -> Cerbère

 

C’est un merveilleux soleil et un paysage très agréable qui nous accueille au petit matin. La côte espagnole est baignée de lumière, la ville de Llança posée sur les flancs des montagnes, ses petites et moins petites maisons blanches tapissant le vert des collines. Les Pyrénées se découpent derrière dans le ciel. Le calme après la petite tempête ayant sévi sur Vanzetti.

la ville de llança en espagne

Llança, la ville face à notre mouillage improvisé

Je commence par préparer un thermos de café pour tout le monde, histoire de se réveiller. Cyril n’a presque pas dormi de la nuit, il est en train de remettre les écoutes sur la voile d’avant et il a bricolé une drisse de GV pour qu’on puisse au moins repartir avec une grand-voile. Je suis impressionnée par sa résilience et sa résistance aux événements. Il accueille le café avec gratitude et moi j’ai l’impression de me rattraper un peu de mon attitude angoissée de la veille.

La matinée est d’une douceur bienvenue, presque féerique. Les têtes émergent des cabines les unes après les autres. Nous sommes perchés sur l’eau, un mug de boisson chaude et une tartine à la main. La cheville de Marie a bien gonflé mais ça ne l’empêche pas de gambader sur le pont, à notre grand soulagement. Cyril s’active pour bidouiller tout ce qu’il peut: voiles, moteur, … Je me charge de préparer à manger, après avoir fait la vaisselle à l’eau de mer, car nous n’avons plus d’électricité donc plus de pompe à eau dans l’évier.

Il semblerait que notre problème de moteur vienne des batteries mais Cyril ne comprend pas trop le chaotique circuit électrique du bateau, ce qui le gêne dans son diagnostic. D’autant qu’au milieu de l’eau, les possibilités de réparation sont assez limitées.

ville côtière et pyrénées en espagne depuis la mer

Les Pyrénées et Llança, paysage reposant après une nuit pleine de surprises

Nous mangeons une omelette de légumes avec un peu de semoule, cuisinée avec les moyens du bord comme on dit. Et en début d’après-midi, nous prenons nos postes pour une navigation 100 % voile. Le départ du mouillage se fait avec beaucoup de sueur car il faut remonter l’ancre à la force des bras.

La navigation se révèle beaucoup plus calme que la veille. Il n’y a presque pas de vent, et nous peinons à aller à plus de 3 nœuds. Tout doucement nous remontons le vent vers le port de Cerbère. C’est une jolie ville toute illuminée par les lampadaires, avec un tout petit port.

port de Cerbère de nuit

La plage et la ville de Cerbère de nuit, après notre arrivée à la voile

Cependant, nous n’avons pas le loisir de nous attarder sur la beauté du paysage tant que nous ne sommes pas à quai. L’équipage se concentre sur l’entrée de port à la voile. J’ai une amarre en main, le pied de l’autre côté de la filière, accrochée aux haubans, prête à sauter sur le quai et faire mon tour mort sur le taquet. Marie est à la grand-voile. Tous les autres sont « pare-bat volant » et Cyril est à la barre. La manœuvre s’annonce délicate.

Nous passons la digue et entrons au près. Pour approcher le quai et finir parallèle au catway, nous enchaînons deux virements de bord. Le bateau se retrouve à un mètre de distance, trop loin pour que je puisse sauter sur le quai en sécurité. Nous continuons d’avancer dangereusement vers un autre bateau amarré devant nous. Nathan se précipite à l’avant avec son pare-battage. Un coup de barre plus tard, le bateau se retrouve à moins de 50 cm du quai, je bondis et je frappe au plus vite mon amarre. Mais le bateau pris dans son élan vient toucher avec l’ancre la filière en maille du bateau voisin, qui se déchire dans un gémissement, avant que le bateau ne s’arrête en douceur.

Franchement, ça aurait pu être bien pire. Une filière trouée, c’est un dégât minime. Je crois que nous sommes tous soulagés. Tout s’est bien passé et nous voilà en sécurité, au port. On va pouvoir se doucher, aller aux toilettes, brancher nos téléphones et marcher un peu.

Une jeune voileuse ayant un bateau sur le ponton vient discuter avec nous. Une entrée de port comme ça, ça aide à tisser des liens… Après toutes ces émotions, nous décidons d’aller au bar et comme elle connaît bien la ville, elle nous guide. C’est une belle soirée avec un Monaco et une pizza en terrasse, dans la nuit fraîche et les éclats de rire, pour évacuer la tension de ces deux derniers jours.

5ème jour – jeudi 22 mai

Cerbère -> Roses

 

La nuit a été bien réparatrice, quoiqu’un peu agitée par la mer et la pluie, mais rien de comparable à la nuit d’avant.

Je me réveille en sursaut à 9h40, persuadée d’être en retard. Je m’habille en catastrophe et me précipite hors de notre cabine pour trouver nos compagnons en train de commencer à préparer le petit déj. Tout va bien. J’essaye de sortir de ma léthargie et je me remémore les évènements des deux derniers jours. Bien sûr, nous n’avons plus de moteur et pas de drisse de grand-voile digne de ce nom. Nous sommes bloqués à quai pour la journée, le temps que Cyril aille acheter le matériel dans la ville d’à côté, à Port Bou.

Florian et moi profitons de cette journée de pause pour aller nous balader sur les hauteurs de la ville, voir le cap Cerbère, et contempler l’Espagne de l’autre côté de la montagne. C’est drôle de marcher sur une frontière. Les paysages sont sublimes, la ville de Cerbère adorable. Nous sommes battus par les vents sur la crête et rentrons pour déjeuner presque en courant, craignant d’être en retard, tout décoiffés mais ravis. Un petit chemin le long de la falaise, presque les pieds dans l’eau, nous ramène au port.

le port de Cerbère vu depuis les hauteurs

Le port de Cerbère vu depuis les hauteurs

marche au bord de l'eau avec Cerbère et les montagnes en fond

Promenade au bord de la mer, presque les pieds dans l’eau, pour rentrer au port

crique avec villa au bord de la mer

Petite crique et plage lors de notre balade au bord de la mer

Nous retrouvons nos camarades à l’entrée de la ville et comme il n’y a pas vraiment de déjeuner prévu, nous allons boire un café qui finit par se transformer en bon repas.

Nous digérons avec une nouvelle petite balade jusqu’au phare du cap Cerbère, pour admirer la vue et se prendre encore du vent dans la figure. Clairement, ça aurait été compliqué de sortir aujourd’hui. Nous pouvons contempler la mer recouverte d’écume blanche, trahissant un vent à décorner les bœufs.

vu sur un cap et la mer avec un promeneur et beaucoup de vent

« Nous pouvons contempler la mer recouverte d’écume blanche, trahissant un vent à décorner les bœufs. »

Cyril finit par revenir avec une batterie de rechange et la drisse de GV. Nous le retrouvons au bateau. Je profite d’un trou d’emploi du temps pour aller faire une lessive, et passer une demi-heure à accrocher le linge sur un bout de corde pour le faire sécher sans qu’il s’envole, car nous sommes à court de pinces à linge.

On enchaîne sur une petite séance de topo. Notre premier sujet est la nuit agitée que nous avons vécu, pour éclaircir les évènements et les ressentis. C’est important pour moi de noter que nous n’avons pas été en danger. J’ai quand même du mal à me départir de mon angoisse, car penser que ce genre de chose pourrait nous arriver dans le futur, alors que nous serions tout seul avec Florian, ça met un coup au moral. C’est bien d’avoir vécu ça, de savoir que ça existe. On en tire beaucoup d’enseignements, pas seulement sur comment réagir, mais aussi sur tout ce qui peut être fait pour éviter ce genre de situation. Notamment l’entretien et la vérification constante du matériel. 

Puis nous continuons sur des sujets plus légers: météo, VHF et un peu de navigation.

topo dans le carré du bateau

Cours de navigation dans le Vanzetti

Pour conclure la journée, Cyril fait un petit tour en tête de mât pour y faire passer la drisse.

Nous invitons notre voisine de quai à venir manger le taboulé du soir avec nous sur le bateau. La soirée s’achève sur une joyeuse partie de dés à laquelle j’assiste en temps qu’auditrice libre depuis ma couchette, avant de m’endormir comme une masse.

6ème jour – Vendredi 23 mai

Cerbère -> Roses

 

Aujourd’hui nous retournons en Espagne, mais de façon volontaire cette fois. Nous allons passer le Cap Creus, la pointe la plus à l’est de l’Espagne, pour rejoindre le golfe de Roses en dépassant largement Cadaquès. On espère qu’ils voudront bien nous laisser entrer au port de Roses, car les capitaineries n’apprécient pas vraiment les entrées à la voile… Comme si on avait le choix.

Notre voisine de ponton vient nous souhaiter bon courage et nous regarde partir, toutes voiles dehors, direction l’Espagne ! Ça ne fait que deux jours qu’on se connaît mais nous nous saluons avec enthousiasme.

Le départ se fait sans trop de difficulté. Le vent est plutôt costaud une fois sortis du port. Nous nous dirigeons franchement vers le cap Creus. C’est assez simple à suivre, il suffit de viser là où les montagnes plongent dans la mer. Je ne connais pas d’amer plus facile à repérer.

Une fois le cap passé, nous nous retrouvons à l’abri des montagnes, ce qui coupe brutalement le vent. D’une navigation un peu énergique, le bateau passe en mode « croisière ». On sort les appareils photos et on profite du paysage. Cadaquès ne tarde pas à apparaître, cachée dans son anse. C’est une ville assez grande aux maisons blanches empilées les unes sur les autres. Sur un ressaut rocheux un peu en dehors de la ville, on distingue ce qui doit être la villa de Salvador Dali (Daaaaaaaali 😉 ). On aurait pu y mouiller et aller la visiter, mais il aurait fallu réserver plusieurs semaines à l’avance… !

cadaquès depuis la mer

Cadaquès et le phare de Cala Nans sur la gauche

Vanzetti poursuit sa route vers le sud. Nous rasons les côtes et admirons les pans de montagnes sauvages, couverts de rochers et de végétation. Des petites criques se découvrent, avec parfois quelques bateaux au mouillage, et un restaurant dissimulé dans le fond. Ces endroits ressemblent à des petits morceaux de paradis rangés dans les plis des montagnes, mais tout à fait inaccessibles sans notre moteur.

On passe le cap du chat, qui doit son nom à un rocher sombre donc la forme fait penser à un chat assis en train de nous observer. Gare à celui qui ne passe pas bien à tribord !

florian et mathilde

Florian et Mathilde à bord du Vanzetti (je sais pas cadrer :'( )

voilier et son équipage à proximité des côtes

« Nous rasons les côtes et admirons les pans de montagnes sauvages, couverts de rochers et de végétation. »

Il commence à faire nuit quand nous arrivons dans le golfe de Roses, et le vent de terre reprend un peu de souffle et nous fait changer de voile d’avant. Le soleil se couche en embrasant les montagnes. On aperçoit bien la face sud du massif du Canigou, encore enneigée à cette période. De loin, la neige a des reflets mauves sur les flancs sombres du massif. A ses pieds, la côte se pare de ses guirlandes de lumières dessinées par les villes de la Costa Brava. Bruno nous fait deviner les immenses immeubles d’Ampuria Brava, encore au sud.

coucher de soleil sur la costa brava

Coucher de soleil sur la Costa Brava

Cyril passe un coup de fil au port de Roses. Je ne comprends plus grand-chose à l’espagnol, mais d’après Nathann ce serait un beau mélange d’espagnol et d’italien, ce qui le fait beaucoup rire. Quoi qu’il en soit, il a convaincu la capitainerie de venir nous aider à accoster au ponton de secours, à côté des pompes à essence, ce qui facilite énormément la manœuvre. Quelques dizaines de minutes plus tard, nous voilà à quai, en train de sortir nos cartes d’identité et de remplir les papiers pour être autorisés à rester en Espagne. Ça fait un peu bizarre de devoir faire ça en zone Européenne mais ça se comprend, après tout depuis la mer on pourrait arriver de l’autre bout du monde.

D’ailleurs, en traversant le port pour rejoindre la plage de Roses, nous croisons des tas de pavillons différents sur les bateaux: Espagne et France bien sûr, mais aussi Portugal, et même Australie ou encore États-Unis. J’essaye quelques minutes de m’imaginer ce que ça doit être pour eux d’être venu jusqu’ici.

Pour fêter notre arrivée en Espagne, Bruno (qui habite un peu ici) nous guide jusqu’à un resto de tapas qu’il connaît bien, et nous nous régalons de tartines de tomates, pommes de terre au fromage, accompagnés d’un bon plat et de cocktails frais, au bord de la mer.

C’est une très belle façon de terminer cette première semaine d’aventure ensemble !

– Fin de la 1ère semaine –

On se retrouve très vitre pour la 2ème semaine de stage, et le retour à Sète !
J’espère que vous avez passé un bon moment sur l’eau avec nous !

N’hésitez pas à nous laisser un petit mot, vos avis ou vos questions en commentaires ! 😊

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