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Mes remerciements à papa pour sa relecture, Florian d’être un si fantastique compagnon et un photographe émérite, et pour tous vos retours sur l’aventure.
Cet épisode est dédié à la mémoire de Spélaïon.
3ème semaine
Borce-> Refuge d’Arrémoulit
- Progression – 313km 28%
Kilomètres
Dénivelé + (mètres)
Dénivelé - (mètres)
🗺️ Informations techniques
Ces informations ainsi que les tracés sont donnés à titre indicatif. Nous vous déconseillons de les utiliser telles quelles ! Préférez vous référer à une carte de randonnée pour préparer votre voyage.
Jour | Date | Etape | Distance (km) | Dénivelé + (m) | Dénevelé – (m) | Durée (h:min) | Distance KME (*) |
15 | 04/07 | Borce | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 |
16 | 05/07 | Borce -> Refuge d’Ayous | 18,59 | 1774 | 456 | 4:58 | 37,7 |
17 | 06/07 | Refuge d’Ayous -> Refuge de Pombie | 10,96 | 860 | 831 | 2:54 | 22,1 |
18 | 07/07 | Refuge de Pombie | 9,92 | 941 | 1013 | 2:32 | 22,4 |
19 | 08/07 | Refuge de Pombie -> Refuge d’Arrémoulit | 11,49 | 1006 | 752 | 3:00 | 23,8 |
20 | 09/07 | Refuge d’Arrémoulit | 13,75 | 1411 | 1381 | 4:16 | 32,0 |
21 | 10/07 | Refuge d’Arrémoulit | 8,84 | 836 | 823 | 2:40 | 19,7 |
(*) KME = kilomètre effort / Notre calcul = distance + (dénivelé positif / 100) + (dénivelé négatif / 333)
Lundi 4 juillet – Jour 15
Repos
La troisième semaine de ce grand voyage commence par une bonne grasse mat’.
Aujourd’hui, mission: envoi de messages et cartes postales à la famille et aux amis.
Entre deux averses, on visite Borce. C’est un très joli village médiéval avec un beau travail de conservation du patrimoine. On y découvre un gîte d’étape pour les pèlerins, tout cosy, avec un Hospitalet presque privé, offrant un joli spectacle de lumières. C’est la deuxième fois que notre route croise le Chemin de Compostelle.
Le timing est parfait pour récupérer le colis en poste restante envoyé par maman quelques jours plus tôt. Il contient près de 7 jours de nourriture : le programme qui nous attend est bien chargé ! Nous avons bien fait de prévoir le coup car l’épicerie du village est restée fermée toute la journée.
Le soir, nous prenons une bière en terrasse au café d’Etsaut, la ville d’en face. On assiste, privilégiés, au spectacle de l’école des enfants. C’est vrai que c’est bientôt les vacances scolaires. On n’est pas resté jusqu’au bout malgré la promesse d’un spectacle de jazz à la fin, la fatigue a gagné, et demain est une longue journée.
Mardi 5 juillet – Jour 16
18,59km / 1774m D+ / 456m D-
Départ 6h45, c’est un peu dur de se lever ! On prend un bon petit déj’ au vu de la journée qui nous attend. 1700m de dénivelé pour rejoindre le lac Gentau et le refuge d’Ayous, avec des sacs blindés de nourriture pour une semaine de voyage.
La journée commence par l’impressionnant Chemin de la Mâture. C’est une espère de grosse gouttière creusée dans le flanc de la montagne à la fin du 18ème siècle, dans laquelle circulait des attelages de bœufs tractant des troncs d’arbres.
De nombreuses voies d’escalade courent en contrebas, traversent le sentier et continuent au-dessus de nos têtes. C’est vertigineux !
C’est aussi un très beau point de vue sur le Fort du Portalet en contrebas. Si la route qui y mène tranche bien dans le paysage, le fort en lui-même se fond un peu plus discrètement dans la forêt et dans la roche. Il a des allures mystérieuses, enveloppé dans la brume matinale.
Nous grimpons notre gouttière pendant 900m, un œil sur nos pieds et l’autre sur le Fort. Ce n’est là que l’échauffement.
La roche laisse peu à peu place à la végétation et nous nous enfonçons dans la forêt.
Au détour d’un chemin, un sac à dos étrange se profile devant nous.
En forme de poire, très haut… mais c’est une contrebasse ?! Interloqués, nous faisons la connaissance de Marcello, le porteur du monstre de 18kg, et joueur de saxophone dans le groupe Jazz Voyageur. Le groupe est composé de deux autres compagnons, Alexandra et Hugo, respectivement à la contrebasse et à la guitare. Ils donnent un concert de jazz ce soir au refuge d’Ayous et nous invitent à y assister. Bien que cela nous fasse raccourcir notre étape, nous envisageons sérieusement la proposition. C’est une occasion unique !
Sur un au-revoir, nous poursuivons notre ascension dans un nuage. Il va finalement nous falloir 4h pour nous extirper du fond de la vallée, ponctuées d’un seul arrêt dû à la découverte de cerises sauvages, miam !
Nous finissons par sortir de la grisaille en arrivant dans les prairies de haute altitude, où paissent tranquillement vaches et brebis. Nous découvrons un grand ciel bleu et un soleil brûlant. Les derniers 300m de D+ dans le cagnard sont vraiment durs, je suis à bout de force.
C’est sous les encouragements de Flo et avec un grand soulagement que nous atteignons enfin le col d’Ayous.
Subitement, le Pic du Midi d’Ossau se dévoile droit devant nous, à un jet de pierre ! C’est un spectacle si beau et si inattendu que nous nous arrêtons aussitôt pour une pause contemplative face à la grandeur de la nature, et puis surtout pour manger. Pendant que je fais la sieste, Flo se fait plaisir en grimpant un petit sommet à côté. Puis on entame la descente vers le lac Gentau.
L’Ossau joue à cache-cache avec les nuages. Parfois il semble flotter dans le vide tel le Château dans le ciel. Dans deux jours, on va grimper en haut. J’ai du mal à imaginer qu’on puisse réellement se frayer un chemin sur ce monstre de roche sombre menaçant.
Sur le chemin du refuge d’Ayous, on retrouve Jazz Voyageur et nous papotons joyeusement avec la petite troupe de musiciens. C’est décidé, on reste là ce soir pour les écouter jouer !
Nous terminons tous au refuge, avec une vue imprenable sur le Pic du Midi et son reflet dans le lac Gentau. On y fait connaissance avec trois copines qui font quelques jours de randonnée par ici et sont pleines d’enthousiasme, quoiqu’un peu anxieuses à l’idée de se geler les miches cette nuit avec leurs sacs de couchage 15 degrés.
Le temps se couvre et le refuge est englouti par le nuage. Il ne pleut pas mais l’air s’est considérablement rafraîchi.
Pour nous réchauffer, on fait un petit tour du lac à la recherche d’un spot de bivouac, puisqu’il est interdit de s’installer sur la rive entre le refuge et le lac. On monte la tente dans la brume, qui devient si épaisse que Florian enregistre notre emplacement sur la montre de crainte de ne pas la retrouver au retour.
On dîne à côté du refuge. Nous sommes tout seul dans la brume et le froid, à déguster nos nouilles chinoises, tandis que le repas est servi à l’intérieur. On peut entendre le brouhaha par les fenêtres entrouvertes.
C’est avec soulagement qu’on rejoint le concert, bien au chaud dans le petit réfectoire, vers 20h30. Ambiance intimiste, on est une trentaine, la musique et les chants remplissent vite la pièce et les cœurs. Je m’abandonne à ce moment, la tête sur l’épaule de Florian, main dans la main et un sourire bienheureux aux lèvres.
Après le concert, la soirée se poursuit autour d’une bière pour les uns ou d’une tisane pour les autres. Je prends plaisir à découvrir l’histoire du groupe. Ça fait 4 ans qu’ils se retrouvent tous les ans pour une tournée de concerts dans toutes les Pyrénées, qu’ils sillonnent à pied avec leurs instruments sur le dos, de refuge en gîte, pour répandre de la musique et de la bonne humeur.
Il se fait tard et je tombe de fatigue. Nous partons à la recherche de notre tente. Avec la nuit et l’épais nuage, c’est un défi de retrouver notre chemin, heureusement on a les frontales. On est bien content de se glisser au chaud dans le duvet, et grand merci il n’était pas trop humide.
Mercredi 6 juillet – Jour 17
10,96km / 860m D+ / 831m D-
Réveillés à 5h par la pluie et l’orage qui passent au-dessus.
Le vent secoue la toile de tente et l’eau clapote tout autour de nous. Les éclairs illuminent l’intérieur de la tente. On a beau se savoir au sec, il reste toujours de l’appréhension, d’autant qu’on peut voir des flaques se former sur la terre dure. Nos duvets ont un peu pris l’humidité, mais ils restent toujours bien chauds, et nous somnolons confortablement installés jusqu’à ce qu’une accalmie nous laisse le temps de remballer les affaires.
Il est 9h passé, nous passons au refuge pour profiter d’un abri et d’un café, au chaud et au sec. La pluie reprend.
Nous patientons en contemplant le lac et le Pic du Midi enveloppés de brume. Parfois un rayon de soleil transperce les nuages et baigne la montagne d’une lumière crue, irréelle, dévoilant des flancs abrupts et des arêtes escarpées. Je déguste ce moment, bercée par les rires des gens qui jouent aux cartes, la musique, les odeurs sucrées qui s’échappent de la cuisine et le goût du chocolat chaud.
Vers midi, la pluie cesse enfin et la cohorte de randonneurs se met en branle. Devant nous partent Jazz Voyageur, vers Gabas, la contrebasse dépassant au-dessus de leurs tête.
Il est temps pour nous de quitter le GR10 et ses sentiers bien balisés. Nous nous dirigeons vers le refuge de Pombie. Notre chemin coïncide avec celui des trois copines rencontrées au refuge hier. On se raconte nos aventures respectives, on prend des photos. Bien que nous ayons croisé du monde sur les chemins, nous avons rarement passé du temps à marcher avec d’autres personnes, c’est très plaisant.
Nous déjeunons ensemble au bord d’une rivière puis nos chemins se séparent.
Nous revoilà tous les deux à grimper vers le refuge de Pombie, seuls au monde, plongeant progressivement dans un épais nuage. Les pentes herbeuses de la montagne résonnent d’un quatuor de marmottes poussant des sifflements stridents. Nous passons de longues minutes à les écouter et à les observer, immobiles et fascinés. Elles ne sont pas si farouches, dressant en l’air leur petit museau à seulement une dizaine de mètres de nous.
Pour atteindre le col menant au refuge de Pombie, il nous faut traverser un pierrier composé d’énormes blocs de rochers empilés chaotiquement. Le passage est symbolisé par des points verts à la bombe de chantier que nous suivons scrupuleusement. C’est un petit parcours d’obstacles bien sportif demandant une attention constante. Arrivés au col nous récupérons un semblant de chemin qui nous amène jusqu’au refuge. Ce dernier se dévoile au dernier moment, enrobé dans le nuage. Pierres grises, jointures blanches, volets rouge, pas de doute c’est bien lui. Il paraît que c’est très joli autour, mais pour l’instant, on ne voit rien du tout.
Ce soir, on a décidé de dormir dans le dortoir du refuge, pour profiter de pouvoir laisser nos affaires et gagner du temps sur le rangement de la tente demain matin. On va partir tôt. On prépare un seul sac à dos pour notre expédition, avec de l’eau, le déjeuner, la polaire, l’imper et la trousse de secours. Nous faisons notre inventaire sur les tables de pique-nique devant le refuge, à l’aide d’une bière et d’un paquet de gâteaux.
Une fois le sac prêt et nos affaires rangées, il est déjà l’heure de dîner. Nous préparons notre popote dans la salle hors-sac du refuge. Un piolet accroché à un sac à dos nous intrigue, et c’est ainsi que nous faisons connaissance avec son propriétaire, un Belge qui fait la HRP. Il nous confirme qu’il a eu de la neige quelques fois sur sa route, plus haut en altitude et plus tôt dans la saison. Vu les prévisions pour cet été, on ne devrait pas croiser beaucoup de névés.
On se met au lit vers 20h, repus et fatigués. Les autres convives ne sont pas encore sortis du réfectoire. Nous nous roulons en boule dans nos couvertures, les bouchons bien vissés dans les oreilles, et profitons du calme du dortoir pour nous endormir promptement. Il nous faut des forces.
Car demain, on grimpe le Pic du Midi d’Ossau !
Jeudi 7 juillet – Jour 18 – Pic du Midi d’Ossau
9,92km / 941m D+ / 1013m D-
Réveil à 5h dans le refuge de Pombie. On est les premiers levés. J’ai bien dormi malgré qu’on soit 15 dans le dortoir, merci les bouchons d’oreille. 3 étages de 5 lits chacun, ça en fait du monde.
Petit déjeuner aux lueurs de l’aube et départ dans l’air frais du matin. Nous croisons un isard qui profite de la tranquillité matinale. Au col de Suzon nous attend la grisaille, qui nous accompagne jusqu’au pied de la première cheminée de l’Ossau. Je souffre ce matin, la montée est rude, mon genou est douloureux. C’est moi qui porte le sac à dos mais je suis tellement à la ramasse que Florian le récupère.
Je ne suis pas vraiment confiante en notre entreprise, bien que j’ai largement participé à son orchestration. C’est notre première vraie ascension avec de l’escalade franche. C’est du II, donc c’est censé être très facile en terme technique, mais il n’empêche qu’à l’approche de cette muraille de roche, je me demande si tout cela est vraiment censé.
Mais arrivée au pied de la cheminée, la magie de l’escalade s’empare aussitôt de moi et j’oublie mes turpitudes. Trouver une prise, la suivante, monter un pied, monter une main, vérifier un appui une fois, deux fois, trois fois avant d’y mettre tout son poids, ne pas regarder le sol qui s’éloigne tranquillement dans notre dos…
Finalement, grimper la cheminée se révèle plutôt facile et très ludique. J’ai l’impression de grimper du 3 en salle, avec autant de prudence que si c’était du 6. Bien que nous n’ayons pas un niveau incroyable, Florian comme moi sommes tout de même ravis d’avoir déjà de l’expérience en escalade encordés, falaise ou salle. Les sensations ne nous sont pas étrangères, et nous reprenons vite nos repères corporels.
Cette découverte de l’escalade sans corde, à des dizaines de mètres de haut, et avec un sac à dos, est une expérience vertigineuse. La randonnée prend une toute autre dimension.
Le « sentier » cairné est un peu compliqué à suivre. D’habitude le trajet se fait en deux dimensions: à droite ou à gauche, mais là il faut aussi regarder au-dessus ! Résultat, on grimpe un peu partout, là où le passage nous semble adéquat, jusqu’à carrément louper la 3ème cheminée. Nous découvrons dans l’ombre des rochers notre premier névé, tout petit et mignon coincé dans son petit creux. L’ascension vers la crête somitale est raide et caillouteuse. J’évite de regarder derrière moi le vide qui m’aspire comme le centre d’un tourbillon.
Cependant, nous arrivons au sommet en un seul morceau, et surtout en nous amusant comme des petits fous.
Nous nous hissons sur la crête sommitale à grand renfort des mains. Le vent y souffle fort et me déstabilise dans ma vaine tentative de rester debout. Nous nous abritons derrière des rochers pour manger notre déjeuner, alors qu’il est tout juste 10h30 (encore une fois). Nous avons presque les pieds dans le vide. Je me blottis contre la masse rassurante des cailloux dans mon dos.
La vue est impressionnante. Une mer de nuages s’étend à l’horizon, de laquelle jaillissent les imposantes montagnes des Hautes-Pyrénées. Nous n’arrivons pas encore à toutes les reconnaître mais dans le tas il y a au moins le Balaïtous que nous avons aussi prévu d’escalader. Personne ne vient troubler notre tranquille contemplation, une chance incroyable sur ce sommet populaire.
Une fois que nos forces sont revenues, nous entamons la descente avec la plus grande prudence sachant pertinemment que c’est aussi dangereux que la montée, voire plus à cause de la fatigue. Les passages des cheminées en désescalade nous plaisent tout particulièrement.
A quelques encablures de la dernière cheminée, ou la première suivant le sens dans lequel on arrive, nous croisons une véritable cordée de randonneurs, emmaillotés dans leurs baudriers comme de vrais alpinistes. Nous les regardons passer avec des yeux ronds. Sommes-nous imprudents ou sont-ils trop prudents ? Suivant les appétences de chacun la limite est floue. En tout cas c’était très folklorique dans ce paysage minéral.
Nous arrivons finalement au refuge de Pombie après 8h de marche. Je suis complètement rincée. Il est à peine 14h et je meurs de faim. Nous avons déjà dévoré notre déjeuner au sommet, et après quatre jours loin de la civilisation notre quota de monnaie s’ammenuise. Nous faisons les fonds de poche pour commander un wrap végétarien que nous grignotons avec reconnaissance au soleil, près du refuge.
Dans notre dos, nous entendons alors des voix connues. Le hasard nous a ramené sur la route des trois copines avec qui nous avions fait un bout de chemin la veille. Nous profitons tous ensemble des rayons du soleil de cette douce après-midi, près du lac. Entre deux nuages, je pique une petite tête dans l’eau glacée, dont je ressors ragaillardie. Il nous faut aussi faire un peu de lessive, puis faire sécher la tente et les vêtements, … Même le repos n’est pas de tout repos, mais ça fait du bien.
L’après-midi touche à sa fin, c’est l’heure des adieux avec les filles. Elles retournent à la civilisation tandis que nous poursuivons notre traversée. On s’éloigne du refuge pour chercher une zone de bivouac en aval, et gagner un peu de temps sur l’étape du lendemain. Nous avions repéré une cabane mais de loin elle semble entourée de troupeaux – et donc probablement occupée par le berger. Peu importe, nous trouvons notre bonheur à quelques centaines de mètres de refuge, sur un coin d’herbe, avec une belle vue sur notre conquête du jour. Nous mangeons et aussitôt, assaillis de fatigue, nous nous couchons.
Vendredi 8 juillet – Jour 19
11,49km / 1006m D+ / 752m D-
Grasse matinée aujourd’hui, après la journée riche en émotions d’hier. Petit déjeuner au soleil, en attendant que la tente sèche. On ne se sent pas très motivés ni très en forme.
Le retour sur un sentier de randonnée semble un peu fade à côté des escalades et paysages somptueux de la veille. Nous tentons de nous galvaniser en pensant à ce qui nous attend ensuite. Nous avons prévu quelques autres formidables ascensions, et aujourd’hui est surtout le jour où nous rejoignons la portion des Pyrénées qui nous a donné envie de venir faire la traversée: les alentours du refuge d’Arrémoulit.
Nous rangeons la tente, et c’est parti pour une belle descente jusqu’à notre fameux Caillou de Socques.
Le Caillou de Socques, c’est de là que nous sommes parti en novembre dernier pour faire un petit tour dans la neige. De loin on peut voir la cabane du même nom, et la route qui passe à côté encombrée par un troupeau de vaches en transhumance. Quelques automobilistes s’impatientent de part et d’autre de la longue file.
Insensibles à ces problématiques, nous rejoignons tranquillement le parking. Nous faisons connaissance avec le berger du coin, curieux personnage ma foi fort sympathique, auprès de qui nous nous ravitaillons en fromage. L’aspect rustique de sa cabane, son aspect bourru et son hospitalité sans faille me transportent à une autre époque. Je me sens artificielle, avec mon sac à dos dernier cri, mon tee-shirt technique (même trempé de transpiration) et mes grosses chaussures. Il nous offre un café et quelques gâteaux, et nous ne sommes même pas encore partis que le voilà retourné à son troupeau. Nous le remercions chaleureusement.
Commence la montée de la souffrance vers Arrémoulit. C’est plus facile qu’en hiver, mais c’est dur quand même. Le soleil tape fort.
Arrivés au col d’Ayous, nous bifurquons vers le passage d’Orteig, un sentier vertigineux permettant de rejoindre le refuge sans être obligés de descendre au lac d’Artouste et de remonter. Cela fait des mois qu’on fantasme sur ce passage ! Mais juste après le Pic du Midi, il nous apparaît comme de la rigolade. Ce qui ne nous empêche pas de rester prudents sur l’étroit sentier, où la chute reste certainement mortelle.
Une fois au refuge, je me réconforte de cette rude montée avec une omelette, du fromage et des sodas. L’ambiance est totalement différente en été. Les volets grands ouverts rendent l’intérieur lumineux, les panneaux solaires sont déployés, il y a même quelques plantes sur le rebord des fenêtres. Un grand marabout est installé à l’extérieur et de nombreuses tables de pique-nique font face au lac. Des baigneurs courageux poussent des cris en se jetant à l’eau. C’est vivant, et le paysage sauvage donne au lieu un air de havre de paix.
Demain, on a prévu d’aller grimper le Balaïtous, il faut prendre des forces. On monte la tente sur l’aire de bivouac à proximité du refuge, et on s’inscrit pour le dîner, le petit déjeuner et le panier-repas du lendemain midi. Malgré nos prévisions, on mange comme des ogres et donc prendre quelques repas au refuge ne sera pas de trop, si on veut avoir assez de nourriture jusqu’à notre retour à la civilisation (et puis ça fait drôlement du bien de manger autre chose que de la purée).
Nous dînons dehors avec les autres randonneurs, en contemplant le soleil qui se couche derrière les montagnes. Nous discutons avec deux HRPistes qui font la traversée dans l’autre sens, depuis Banyuls. L’un d’eux filme sa traversée, il tient une chaîne youtube et se plaint de la montée en popularité de la HRP. Son ami dont j’ai oublié le nom est un genre de start-uppeur bouffi d’orgueil qui se prend pour mon patron quand je lui dis que je suis développeuse. Bref. Eux ont presque fini leur traversée, ils ne vont pas tarder à quitter la haute montagne pour retrouver les vertes vallées des Pays-Basques. Ils nous confirment à quel point la traversée par la HRP est plus rapide et très belle, mais les sentiers sont bien plus compliqués à suivre sans balisage. Ce doit être une aventure bien différente du tranquille GR10.
Le soleil finit par disparaître derrière les montagnes. Il ne fait pas encore nuit mais il est grand temps d’aller se coucher. L’inconvénient d’être si proche du refuge c’est que les randonneurs moins fatigués finissent leurs bières en parlant fort juste à côté de nous (surtout les espagnols !), jusqu’à ce que je lance, énervée, du fond de mon duvet un « Quiero dormir por favor » avec un super accent français qui les a mouchés.
Samedi 9 juillet – Jour 20 – Balaïtous
13,75km / 1411m D+ / 1381m D-
Debout peu après 5h pour remballer la tente à la lueur rougeâtre des frontales. A 6h pétantes nous sommes au refuge pour prendre le petit-déjeuner. On se blinde le bide de flocons d’avoine et de biscottes trempées dans le café. Nous chuchotons avec enthousiasme avec un vieux randonneur qui partage notre excitation pour les ascensions escarpées. Il a l’amour de la montagne qui pétille au fond de ses yeux.
Départ dans la fraîcheur matinale. Le ciel est bien clair, le temps devrait être au beau fixe aujourd’hui. Quelques marmottes font leur petite promenade du matin tandis que nous montons jusqu’au col d’Arrémoulit. De là, première vue sur le lac d’Arriel dominé par l’imposant Balaïtous.
Il nous faut redescendre pour contourner le lac. Nous poursuivons les cairns sans perdre de vue le colosse qui se dresse au-dessus de nos tête. Nous sommes seuls au monde jusqu’au lac du Gourg Blanc où nous faisons une première pause pour manger une petite barre de céréales. Les premiers randonneurs nous rattrapent. Nous repartons sans tarder car il fait encore bien frais à l’ombre.
Nous nous élevons progressivement au-dessus du lac du Gourg Blanc. Le sentier se fait peu à peu plus pentu. Nous contournons quelques névés, les yeux rivés sur les cairns et sur la topo.
Le Balaïtous se rapproche. La Grande Diagonale qui permet de monter au sommet dessine une énorme balafre rocheuse dans la montagne. Dire que l’on va devoir se faufiler là-dedans. Elle semble infranchissable et pourtant, de cairn en ressaut rocheux, le passage se dessine devant nous.
Nous prenons notre déjeuner à côté de l’abri Michaud (il est 10h, ça en deviendrait presque une habitude), en laissant désormais passer des troupeaux d’espagnols faisant leur rando du week-end. Ils sont presque tous casqués, contrairement à nous. C’est sans doute la plus grosse imprudence que nous commettons, d’ailleurs. Les cordes et le baudrier ne sont pas indispensables vu le niveau d’escalade facile, mais les chutes de pierres sont un véritable risque.
Nous poursuivons notre ascension avec prudence, en s’égarant une seule fois ! Une petite corniche suspendue au bord du vide permet d’accéder, enfin !, à la fameuse Grande Diagonale. Elle se révèle ne pas être si vertigineuse que ça, une fois dedans. Bien qu’il faille s’aider des mains tout au long de l’ascension, les prises sont nombreuses, la roche stable et le chemin est assez large. Nous redoublons cependant de prudence à chaque fois que nous croisons quelqu’un, à cause des chutes de pierres surtout.
La partie finale de l’ascension demande une attention constante, tant au niveau de l’escalade qu’au niveau des chutes de pierres. C’est un jeu de placement et du choix du meilleur passage pour monter avec un minimum d’effort et sans se faire peur.
Nous atteignons le sommet à midi passé. Nous sommes à 3144m d’altitude, le point le plus haut que nous ayons jamais atteint depuis le début de la traversée.
Le panorama est fantastique.
Après s’être extasiés longuement sur la beauté du paysage et l’incroyable ascension qui nous a conduit ici, et pris un goûter bien mérité, nous faisons alors une remarquable rencontre. Raphaël, un randonneur-fou, vient d’enchaîner dans la même journée le Lurien, le Palas, et s’apprête désormais à descendre du Balaïtous pour grimper ensuite l’Arriel et, éventuellement, finir sa journée en bivouaquant au sommet du Pic du Midi d’Ossau.
Nous en restons bouche bée, stupéfaits, admiratifs devant tant d’énergie. C’est un gars d’ici, ça se voit. Quand nous lui partageons notre excitation à l’idée de faire d’autres sommets, il s’avère de très bon conseil, je crois qu’il connaît parfaitement tous ceux des environs !
Il ne tarde pas à repartir devant nous, tel un isard sur sa montagne. Nous aussi nous commençons à redescendre, mais bien plus précautionneusement. Le soleil bat fort et l’après-midi est bien entamée. Et pourtant on croise encore des gens qui montent.
Retour par le même chemin qu’à l’aller. On prend un raccourci à travers les éboulis, avec un succès plutôt mitigé. On retrouve Raphaël en bas du Balaïtous, en train de faire sécher sa bâche de bivouac. Il nous accompagne un bout de chemin jusqu’au col d’Arrémoulit, avec bien plus d’entrain que nous. J’ai du mal à suivre la conversation. Je commence à être bien fatiguée, mal aux pieds et tout.
Au col, Raphaël, ragaillardi par son petit bout de chemin avec nous, poursuit sa folle entreprise vers l’Arriel, en passant par une arête qui semble plutôt non-conventionnelle pour des randonneurs. Il a essayé (et presque réussi !) à convaincre Florian de venir avec lui. Mais la fatigue a gagné aujourd’hui et nous retournons au refuge.
Nous terminons la journée au calme avec les pieds dans l’eau. Nous mangeons sans traîner notre purée-à-l’oignon, bien qu’il ne soit que 18h30, pour ensuite aller monter la tente à bonne distance du refuge cette fois. Nous nous endormons comme des masses. Ca y est, le Balaïtous, on l’a réussi.
Dimanche 10 juillet – Jour 21
8,84km / 836m D+ / 823m D-
Ce matin grasse mat’ ! On se fait éjecter de la tente à 9h par le soleil qui tape sur la toile (et parce que c’est la réglementation Parc National). J’ai la tête dans le cul: beaucoup dormi, mais pas très bien. Les douleurs habituelles, genoux, jambes, pieds. On remballe tranquillou la tente et on mange nos mueslis, perchés sur notre caillou dominant le lac et le refuge.
Notre programme n’est pas encore fixé pour aujourd’hui. Théoriquement, nous avions prévu de faire seulement le Lurien avant de repartir. Mais le temps est magnifique, il nous reste à manger, rien ne presse, et nous sommes encore entourés de deux autres beaux sommets: le Palas et l’Arriel.
Malgré ma fatigue généralisée, je n’ai pas envie de ne rien faire aujourd’hui et Flo réussit à me convaincre d’aller grimper l’Arriel. Il est beau, son arête se découpant dans le ciel bleu. Fun fact, d’après Vincent et Félix, les gardiens du refuge avec qui on a souvent discuté ces derniers jours, c’est possible de voir les gens qui sont au sommet depuis le refuge.
Cette fois, on a décidé de prendre chacun un sac à dos, toujours avec seulement le contenu nécessaire pour la journée, mais ainsi on peut se répartir nos quatre litres de flotte, c’est bien moins lourd.
C’est une nouvelle étape pour nous, cette aventure : pas de trace GPX ! Seulement le topo papier que Flo a pris en photo au refuge (vu qu’il n’y a pas de réseau, pas possible d’aller le récupérer sur internet). On prend le temps d’étudier le topo et la carte avant le départ. Le chemin se révèle cependant relativement simple, et Flo nous mène d’une main de maître.
Nous repassons par le passage d’Orteig, avant de bifurquer vers le lac d’Arious, d’un bleu pur, appelant à la baignade (ça, c’est sans compter sur sa température).
La montée est bien rude mais pas si longue finalement, seulement deux heures et demie de marche pour engloutir les 800m de dénivelé positif jusqu’au sommet. Il y a beaucoup de caillasse mais l’arête finale est faite de bons gros rochers bien solides, vraiment extra à escalader, pas trop technique et très ludique.
A 14h30 on atteint le sommet, et on est bien contents de dévorer nos craquottes-fromage malgré la population impressionnante de mouches qui nous entoure. Deux grimpeurs font leur apparition, munis de cordes et baudriers, ils sont passés par une autre arête plus technique que celle de la voie normale, en escalade trad. Nous sommes sidérés car c’est la voie qu’a emprunté Raphaël hier – mais sans aucun assurage, lui. Je suis plutôt contente qu’on ne l’ait pas suivi finalement !
Descente et retour refuge sans trop de mal. Les pieds sont usés et la fatigue me pèse.
Je me sens épuisée et incapable d’enchaîner sur une nouvelle journée de grimpe. De son côté, Florian zieute le Palas depuis qu’on est arrivé. Je le sens venir: demain c’est notre dernier jour pour le grimper, ensuite nous serons obligés de retourner en ville faire des courses. On n’a plus de nourriture, plus d’argent liquide, un dernier chèque pour payer le refuge et la nourriture.
Après moult négociations, nous décidons de récupérer un peu d’énergie en dînant et couchant au refuge (il reste de la place dans le marabout !). – ainsi, il n’y a plus rien à faire de toute la soirée. Pas de préparation repas, pas de montage de tente, juste mettre les pieds dans l’eau et siroter une bière.
Je sens aussitôt mon corps se relâcher de toute sa tension. Voilà, la journée est terminée. C’est fou comme le fait d’être en bivouac demande d’être concentrés et vigilants du lever au coucher, presque sans répit.
Nous dînons d’un délicieux plat de lasagnes végétariennes.
J’ai tellement faim que j’ai repris trois fois de la soupe de lentilles en entrée, et trois fois aussi des lasagnes. J’aurais bien repris trois fois du dessert mais ça, il n’y en avait pas assez. Mon estomac s’est transformé en puits sans fond.
Avant d’aller nous coucher, nous regardons Felix et Vincent, les gardiens, qui profitent des derniers rayons du soleil pour aller faire de l’escalade de l’autre côté du barrage. Je suis si fatiguée que je n’ai même pas la force de les envier.
Demain, une grosse journée nous attend, avec peut-être deux ascensions dans la même journée … ! Au dodo !
– Fin de la 3ème semaine –
🏕️ Continuer l’aventure
La prochaine semaine nous conduit à la frontière des Hautes-Pyrénées. L’été arrive, sans pitié, pour nous assommer avec ses grosses chaleurs. Et nous continuons, infatigables mais un peu fatigués quand même !
Bonjour,
les superbes photos et le récit m’ont tenue en haleine. Vivement la suite!