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2ème semaine
Saint-Jean-Pied-de-Port-> Borce
- Progression – 136km 21%
Kilomètres
Dénivelé + (mètres)
Dénivelé - (mètres)
🗺️ Informations techniques
Ces informations ainsi que les tracés sont donnés à titre indicatif. Nous vous déconseillons de les utiliser telles quelles ! Préférez vous référer à une carte de randonnée pour préparer votre voyage.
Jour | Date | Etape | Distance (km) | Dénivelé + (m) | Dénevelé – (m) | Durée (h:min) | Distance KME (*) |
8 | 27/06 | St-Jean-Pied-de-Port -> après le gîte de Kaskoleta | 21,54 | 1186 | 663 | 5:10 | 35,4 |
9 | 28/06 | ? -> Plateau d’Agiole | 27,91 | 1674 | 1309 | 7:09 | 48,6 |
10 | 29/06 | Granges d’Agiole -> Cayolar d’Ohladubi | 15,52 | 687 | 846 | 4:03 | 24,9 |
11 | 30/06 | Cayolar d’Ohladubi | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 |
12 | 01/07 | Cayolar d’Ohladubi -> Refuge Jeandel | 33,03 | 2158 | 1346 | 7:55 | 58,7 |
13 | 02/07 | Refuge Jeandel -> Refuge de l’Abérouat | 16,8 | 1094 | 1211 | 4:30 | 31,4 |
14 | 03/07 | Refuge de l’Abérouat -> Borce | 21,55 | 806 | 1737 | 5:05 | 34,8 |
(*) KME = kilomètre effort / Notre calcul = distance + (dénivelé positif / 100) + (dénivelé négatif / 333)
Lundi 27 juin – Jour 8
21,54km / 1186m D+ / 663m D-
Ce matin, départ de St-Jean-Pied de Port. La première étape, et non la moindre, est de faire les courses de la semaine. On sort notre liste préparée à l’avance et qui va nous suivre toute la rando. Purées, soupes déshydratées, barres de céréales, fruits secs, … on ajoute à ça quelques fruits frais à manger avant de partir.
Nous débutons la journée de marche vers 10h. Aujourd’hui, c’est journée bitume, et en plus il fait brumeux. On laisse rapidement St-Jean-Pied-de-Port derrière nous et j’avoue que ça me soulage : d’y avoir vu des randonneurs qui semblaient s’être piégés là tous seuls depuis deux semaines, ça me faisait peur pour nous (pour moi). N’ayant pas de contrainte de temps, ce serait si facile de céder à la tentation du « Allez, on reste juste un jour de plus … ».
Pour le repas du midi, on se paye le luxe de faire cuire des œufs achetés ce matin (pour les porter le moins longtemps possible !). Nous poursuivons notre chemin sous le ciel gris, jusqu’à rejoindre la route qui descend à Esterençuby.
A l’entrée du village, Flo dégote une ferme vendant ses fromages de brebis. La fermière nous amène bien volontiers visiter sa cave à fromage. On discute avec passion de brebis et on repart avec la plus petite tomette possible mais qui fait tout de même un bon kilo !
Nous nous interrompons à nouveau au café-hôtel du village, pour boire quelque chose de chaud. Nous rencontrons là un nouveau couple de GRdistes un peu âgés et sacrément motivés. Ils repartent un peu avant nous.
Il est d’ailleurs temps de poursuivre notre route, nous renfilons les sacs à dos. Entre deux bosses, j’appelle les Chalets d’Iraty pour commander du pain pour demain. C’est un endroit assez isolé, et si on veut être sûr d’en avoir, mieux vaut s’y prendre à l’avance. Ça paraît si loin sur la carte, j’ai l’impression de faire des plans sur la comète.
Nous remplissons nos bouteilles d’eau au camping-gîte d’étape de Kaskoleta. Il s’est mis à pleuvoir sérieusement cette fois, il fait froid. On a rattrapé le couple un peu âgé qui fait un bout de traversée. Nous poursuivons un petit bout de chemin ensemble, jusqu’à ce qu’ils nous laissent devant dans la montée.
C’est la première fois qu’on se retrouve sous des trombes d’eau aussi longtemps. Heureusement le terrain n’est pas technique ni rocheux. Seule la boue vient maculer nos bas de pantalons. En chemin on croise une étable déserte qui me fait de l’œil – j’y passerai bien la nuit plutôt que de bivouaquer au grand air – mais le risque de déranger un berger ou un vacher est trop grand donc on continue sous la pluie.
Une fois arrivés au spot de bivouac prévu, c’est le soulagement : il existe bel et bien. Car les alentours ne sont que forêts et sentiers étroits, impossible de planter la tente ailleurs. On applique notre protocole de montage de tente sous la pluie avec une efficacité surprenante. On y a réfléchi soigneusement avant de partir, et encore sur la route, car il n’y a rien de pire que de se retrouver avec des affaires de dodo mouillées !
Hop on monte juste la toile de tente et la bâche pour le sol et on se réfugie dans notre petit cocon. Rien qu’être à l’abri de la pluie nous réchauffe. On prépare à manger et on dîne avec reconnaissance : c’est bien chaud, on recommence à sentir le bout de nos doigts. On est vigilant à ne mettre aucune miette à côté pour ne pas attirer les rongeurs et autres gourmands pendant la nuit. En revanche, impossible de se prévenir des limaces qui semblent adorer se vautrer sur la bâche en plastique.
Une fois repus, c’est le moment de se déshabiller et de mettre de côté nos affaires trempées, qu’on remettra demain matin. On déploie la moustiquaire, les matelas et les duvets dans l’espace restreint que nous avons, en tâchant de ne pas se donner de coup de coudes. On se débrouille bien mieux que ce que je pensais : je m’attendais sincèrement à faire au moins une bêtise sur toute la procédure mais même pas.
On se glisse avec délectation dans les duvets. Il y fait bien chaud. Pas de pipi de dodo ce soir (heureusement j’y ai pensé avant de rentrer dans la tente), hors de question de me mouiller maintenant. La nuit est encore loin d’être tombée mais nous sommes déjà épuisés et douillettement installés. Au dodo !
Mardi 28 juin – Jour 9
27,91km / 1674m D+ / 1309m D-
Après le montage sous la pluie, c’est au tour du démontage sous la pluie ! On a renfilé nos vêtements mouillés et rien de tel qu’un peu d’exercice pour se réchauffer. J’ai les doigts tout engourdis, heureusement que Flo lui est plus dégourdi. On s’en sort vraiment pas mal du tout. La clé étant d’avoir tout rangé avant d’ouvrir la porte de la tente pour ne rien mouiller.
Le GR10 est sans pitié avec nous : nous voici aussitôt parti pour 700m de dénivelé dès le matin ! C’est sûr, ça réchauffe. La pluie finit par se calmer tandis que nous nous enfonçons dans le nuage. Le chemin est boueux. L’atmosphère est mystérieuse, sous-bois plongés dans la brume ou pente de fougères s’évanouissant dans des abysses grisâtres.
On monte jusqu’au sommet du Mont Okabe, on n’y voit rien du tout. Petite pause, on mange des céréales car mon ventre grogne trop fort, mais le nuage ne se lève pas. Donc on redescend.
Dans la vallée on passe non loin du chalet Pedro, mais il est tout juste 10h et c’est fermé. Tant pis, pas de café. Un peu plus loin on passe au travers d’un parking de camping-car un peu sauvage. Il y a une cabane non gardée installée dans un espère de hangar, avec des toilettes qui ont une double-porte style saloon. C’est vraiment un très curieux décor.
Je profite des lavabos pour faire un peu de lessive. Je m’attèle au nettoyage du torchon à fromage : mauvaise idée, c’est impossible de faire partir l’odeur du bleu des basques. J’y ai perdu au moins une heure !
On repart pour les Chalets d’Iraty. J’essaye d’appeler ma maman pour prévoir avec elle l’envoi de notre première poste restante : j’aurai déjà dû le faire hier, fichtre ! Elle ne répond pas pour l’instant.
Plus on s’approche des Chalets et plus on croise de monde. Le ciel se dégage l’ambiance change complètement, bien plus chaleureuse avec le soleil. Les Chalets ressemblent plus à une station de ski ou de sport d’été qu’aux petits chalets « cosy nichés dans la montagne que j’imaginais ! Mais il y a bien la supérette comme prévu et Florian va faire les courses tandis que je téléphone à maman avec succès. J’en profite pour faire une petite séance d’étirement. Mes genoux sont douloureux.
Après ces heures de grisailles, on savoure le soleil. Un morceau de fromage, du pain frais, Florian me ramène même un délicieux gaspacho que je savoure à petites gorgées en regardant sécher les chaussettes, tandis que Flo étend la toile de la tente au soleil. Un groupe de trottinette-tout-terrain-électrique assiste à son briefing avant de partir en balade. Les paris sur le premier à se casser la gueule vont bon train.
Ce petit moment de détente doit prendre fin si on terminer notre étape, alors on s’extirpe de notre table de pique-nique pour continuer la rando, direction le Pic des Escaliers.
Alors que nous cheminons le long du GR10, nous faisons une drôle de rencontre : un tabouret abandonné au bord du sentier, à des lieux d’une quelconque route. Pour rigoler, on l’emporte avec nous jusqu’à le déposer dans un endroit adéquat. Nous demandons à des randonneurs arrivant dans l’autre sens s’il n’aurait pas croisé quelqu’un ayant perdu son tabouret. Passé le moment de surprise, on nous informe qu’un randonneur avec deux ânes est à quelques kilomètres devant nous. C’est le meilleur candidat pour être un possesseur de tabouret, c’est tout de même plus commode de le faire porter par quelqu’un d’autre.
Nous repartons. Un peu plus haut, nous trouvons une jolie vue, agréable à contempler assis, et laissons le tabouret là – la plaisanterie a assez duré. L’ascension vers le Pic se poursuit. La vallée s’étale à nos pieds, notre regard porte de plus en plus loin. La montagne approche, le sentier se parsème de rochers et il faut faire attention où on met les pieds. Florian crapahute sur la ligne de crête tandis que je reste, prudemment, légèrement en contrebas.
Nous nous ébahissons quelques minutes au sommet. Dire que ce matin nous étions sous la pluie – c’est désormais un immense ciel bleu qui sublime la vue. Nous entamons la redescente dans une espèce d’euphorie contemplative, fascinés par la flore colorée à nos pieds et les creux verdoyants gorgés de forêts qui s’étendent à perte de vue pour se perdre dans le plat pays à l’horizon.
Je descends clopin-clopant jusqu’à rejoindre la route, où un habitant du coin en voiture s’arrête pour nous congratuler et s’enthousiasmer avec nous sur le paysage. Lui aussi il fait le GR10 mais par petits bouts d’une année à l’autre.
Le chemin continue. L’euphorie passée, le corps redevient plus présent et fait sentir que la journée a été longue. Cependant, pas le temps de niaiser, on poursuit de plus en plus bas, retrouvant les fougères et les chemins boueux de la pluie de ce matin.
Au détour d’un chemin, nous rencontrons enfin le fameux randonneur avec ses ânes, en train d’installer son camp. Après avoir échangé quelques banalités, je lui demande s’il n’aurait pas perdu un tabouret. Un éclat s’allume dans ses yeux et il s’exclame : « Vous l’avez trouvé ?! Vous me l’avez ramené ?! ». Nous manquons de nous étouffer de rire avant de réaliser qu’il est sérieux, et c’est presque s’il nous engueule de ne pas lui avoir ramené jusqu’ici ! « Ah oui, vous êtes au gramme près, vous… » lâche-t-il. « Voulez-vous qu’on vous indique où on l’a laissé, puisque vous y tenez tant ? » propose Florian, sur quoi l’homme grommelle quelque chose comme quoi il n’utilise pas de cartes et puis il ne va pas faire demi-tour, blablabla. Nous haussons les épaules et partons au plus vite, hallucinés par sa réaction.
Cela nous a donné du grain à moudre pour les prochains kilomètres. Heureusement car la fatigue nous plombe les jambes. Mes genoux sont douloureux. La soif vient s’en mêler, nos bouteilles se vident. Heureusement nous trouvons un abreuvoir avec un robinet d’eau de source sur le chemin. Nous prenons quelques minutes pour remplir et pastiller les bouteilles d’eau.
Sous un soleil de plomb, nous nous traînons en essayant de ne pas glisser dans la boue. Je regarde toutes les cinq minutes les kilomètres défiler sur ma montre. Je sais que ça n’aide pas, mais je n’arrive pas à m’en empêcher. L’écart jusqu’à l’arrivée se réduit progressivement.
Nous atteignons le petit plateau d’Agiole et constatons avec soulagement qu’il est largement praticable pour le bivouac. Ici aussi il n’y a pas beaucoup de choix quant à l’endroit où planter sa tente.
Nous nous installons entre la route et les fougères, sous le regard curieux des brebis. On prend garde à ne pas se mettre trop près de la route au cas où un berger passerait, et grand bien nous en fasse car quelques minutes plus tard une camionnette apparaît au bout du chemin.
En la voyant s’arrêter à notre hauteur, mon cœur se serre à l’idée que nous allons peut-être devoir remballer nos affaires et nous installer plus loin. Mais après un bref échange avec Pierrot le berger, il semble surtout curieux de notre petit manège, et repart en nous souhaitant une bonne nuit.
On finit d’installer la tente et les duvets. Florian s’installe pour une petite sieste. Le soleil est encore haut et il faut user de ruse et faire des manteaux un parasol, étalés sur la toile de notre tente, pour avoir un peu d’ombre. De mon côté je vais remplir notre petite bassine à l’eau d’un abreuvoir proche. L’eau est croupie mais avec un coup de filtre je récupère quelques litres clairs, avec lequel on peut faire un brin de toilette et se tremper les pieds ! Ça ne vaut pas une douche mais après deux jours à être trempés tour à tour de pluie et de sueur, c’est rafraîchissant.
Le fond de bassine sert à nettoyer les chaussettes qui commencent à être un peu cartonnées.
Le soleil commence à décliner dans le ciel, c’est l’heure de préparer à manger en grignotant des cacahuètes. Nous mangeons en contemplant les montagnes rosées par le coucher de soleil. On identifie avec enthousiasme le pic d’Anie grâce à l’appli Peak Finder. Je n’en reviens pas que nous approchions déjà des Pyrénées-Atlantiques, de la montagne minérale et des sommets ! Dans quelques jours, nous serons tout là-bas, me dis-je en contemplant les crêtes dentelées qui se découpent dans le ciel. Je me sens excitée et effrayée. C’est très dur parfois de marcher toute la journée, et on va se rajouter de la difficulté avec des itinéraires plus complexes. Mais les vues là-haut promettent d’être spectaculaires !
Le soleil finit par disparaître et la fraîcheur du soir s’installe. Nous finissons bien vite nos assiettes et après une vaisselle rapide, nous tombons de fatigue sous nos duvets.
Mercredi 29 juin – Jour 10
15,52km / 687m D+ / 846m D-
Départ vers 9h des Granges d’Agiole dans la brume. Nuit courte mais calme. Heureusement que l’étape est petite car dès le matin, mes genoux me font souffrir. Sur le chemin de crête, on a une belle vue sur la ville de Larau. Je dandine mes petites jambes douloureuses sur les chemins entre les fougères. Le paysage est vert et le ciel gris. Des mouches bien pénibles viennent nous croquer avec leurs petites mandibules : ce sont des taons mais on les surnomme les mouches-qui-croquent.
Pause bienvenue à l’auberge Logibar, où je me masse copieusement les genoux avec du baume du tigre en mangeant une glace. Randonneurs et cyclistes se succèdent au comptoir.
On entame l’après-midi avec une ascension vers la passerelle d’Holtzarte. C’est là qu’on a croisé pour la première fois nos premiers randonneurs-de-la-journée par poignées.
Il faut dire que la balade en vaut la peine. La passerelle survole les gorges à 160m de hauteur et se balance doucement quand on passe dessus. Il vaut mieux ne pas avoir trop le vertige avec ce vide de tous les côtés.
On y voit des promeneurs gesticulant devant leur appareil photo et prenant la pause sur le pont. Leur petit manège dure une dizaine de minutes. Le paysage est un véritable chef-d’œuvre en lui-même, pourquoi donc se donner tant de mal à se donner en spectacle dessus ? Bon évidemment ça ne nous empêche pas d’y prendre quelques photos aussi, frémissants au moment de passer l’objectif au-dessus du vide.
On poursuit la montée jusqu’au cayolar d’Ohladubi après un petit détour sans intérêt sur le GRT11. La cabane est grande et en excellent état. Nous nous y installons avec gratitude. Un couple de HRPiste (mais que faisaient-ils là ??) passe et hésite à s’arrêter, pour finalement poursuivre leur route. Nous serons donc tranquilles en tête-à-tête.
Malgré la pluie, nous allons tremper nos petites jambes meurtries au torrent qui passe à côté de la cabane. On s’amuse à couper un peu de bois, pas encore trop humide, pour faire un feu et sécher nos chaussettes trempées et nos corps frissonnants. Merci aux cadavres de bougies qui nous ont permis de démarrer la flambée.
Jeudi 30 juin – Jour 11
Repos
Journée pause au cayolar d’Ohladubi. On a dormi jusqu’à 10h dans le calme de la cabane, bercés par le bruit de la pluie. Comme d’habitude c’est mon envie d’aller aux toilettes qui me tire du duvet mais je peux m’y glisser de nouveau avec délectation, pour une fois.
Il fait gris, froid et il pleut sans relâche toute la journée. C’est d’ailleurs pour ça que nous avons décidé de ne pas bouger aujourd’hui. Nous nous tenons chaud en mangeant, jouant au trivial poursuit, en faisant un peu de ménage. On retourne mettre les pieds dans l’eau avant le repas du soir. On n’a pas encore entamé nos repas de secours malgré cette journée de pause mais la quantité de fromage diminue tout de même notablement.
Demain on veut partir tôt et aller jusqu’à Arette, en prévision de l’ascension du Pic d’Anie. Il est prévu du soleil le jour suivant, conditions idéales avant plusieurs jours de grisaille. Ça promet d’être une très grosse étape, j’espère que mes genoux vont tenir le coup. Les talons d’Achille de Florian vont mieux, eux. C’est une bonne nouvelle.
Vendredi 1 juillet – Jour 12 – Passage en Pyrénées-Atlantiques
33,03km / 2158m D+ / 1346m D-
Départ 6h30 du cayolar. Brume, boue, frais. Les paysages sont gris, les vallées encaissées couvertes de fougères et d’arbres sans grand intérêt. On suit une route forestière. Avec la montée, le paysage change un peu. Les arbres moussus et les herbes aux reflets bleutés sont constellées de gouttes de pluie brillantes comme des diamants. La brume ajoute un peu de mystère au tableau. La descente qui s’ensuit est moins jolie. Chemin long et boueux, sous-bois plutôt sympathiques mais un véritable calvaire pour mes genoux. J’ai fini en larmes.
Pause midi délicieuse à l’auberge Elichat, au village de Ste-Engrâce, où nous avons dévoré une omelette à la piperade basque. Nous retrouvons Nathalie, GRDiste des premiers jours, qui s’arrête ici pour la journée. Elle ne veut pas faire de trop longues étapes à cause de problèmes aux genoux, ce que je peux tout à fait comprendre. Si nous ne voulions pas absolument profiter du beau temps de demain pour faire le Pic d’Anie, nous n’aurions pas vraiment de raisons de continuer non plus, c’est déjà une belle étape.
Une glace et un café plus tard nous repartons. La montée est longue et bien raide. Nous traversons d’abord le ravin d’Arpidia, paysage sublime digne de Jurassic Park. La flore ressemble beaucoup à celle que l’on retrouve près des carrières de calcaires, et on comprend vite pourquoi : la gorge dessert la Salle de la Verna, immense cavité souterraine dans cette région très karstique.
Nous sortons ensuite de la forêt pour rejoindre les pâturages. Le temps est assez gracieux pour nous octroyer une belle vue sur la vallée avant que nous nous enfoncions dans un nuage, encore une fois.
Florian part devant pour réserver une place au refuge de Jeandel et faire des courses, car le timing est tendu et je ne peux par marcher assez vite. Ça fait bizarre de se retrouver seule dans ce paysage fantomatique. Je finis par sortir du nuage après cette longue montée, pile au moment d’atteindre le col de la Pierre St Martin. Le changement de décor est irréaliste. On passe de montagnes couvertes de fougères verdoyantes, à un mélange abrupt de roches et de sapins. Le ciel est d’un bleu éclatant et le pic d’Anie se dessine plus proche que jamais.
Nous sommes dans les Pyrénées-Atlantiques !
L’excitation qui s’empare de moi me donne l’énergie nécessaire pour termine cette longue étape de 33km. Je pense à Florian qui est passé là peu de temps avant et j’ai l’impression que nous partageons à distance la même euphorie.
Arrivée au refuge, je retrouve Florian et nous montons la tente sur le seul spot de bivouac disponible. Douche salvatrice de 3 minutes chrono et délicieux repas à la table du refuge. On y a rencontré Michel, retraité enthousiaste faisant le GR10 jusqu’à Bagnères-de-Luchon de refuge en refuge, et un mystérieux Allemand, Wolfgang. C’était difficile de s’entendre dans le brouhaha du repas ce qui ne nous a pas empêché de passer un bon moment.
Magnifique coucher de soleil sur une mer de nuages. Nous sommes ravis d’être au-dessus pour une fois. C’est notre plus haut bivouac depuis le début de la randonnée, à 1700m d’altitude !
Samedi 2 juillet – Jour 13 – Pic d’Anie (2505m)
16,8km / 1096m D+ / 1211m D-
Magnifique lever de soleil sur Arette et la station de ski. Le refuge est encore plongé dans la pénombre et le silence. Nous rangeons la tente en tout discrétion.
Départ 6h15, le refuge commence tout juste à se réveiller. Nous croisons quelques bergers qui guident leurs troupeaux sous les télésièges immobiles. Le ciel s’éclaircit et les ombres se tassent. Pas un nuage à l’horizon, comme prévu.
Nous montons jusqu’au plateau de Pescamou où nous aurions dû bivouaquer. La zone est bien plate mais il n’y a pas une goutte d’eau à l’approche des arres d’Anie. Nous quittons le GR10 pour bifurquer vers notre premier véritable sommet, tout excités. Les prairies herbeuses cèdent bientôt la place aux rochers.
Le balisage est inexistant, les cairns montrent le chemin. Nos yeux peu habitués à cet exercice ont du mal à repérer les petits monticules de cailloux. Rapidement, Florian prend le coup et nous mène d’un pas assuré à travers ces dédales rocheux. Moi je me concentre sur mes pieds avant tout, et j’arrive quand même à me casser la figure.
Paysage lunaire. Chaos minéral fendu de vides profonds. Minuscules fissures d’où jaillissent des petites fleurs jaunes, violettes, bleues, blanches. Deux isards perchés sur leur rocher. Le tableau est dominé en arrière-plan par le gros nez du Pic d’Anie se découpant dans le ciel bleu. D’en bas, il semble improbable à gravir, pourtant c’est bien là-bas que nous allons.
L’approche du Pic est chaotique. Il faut souvent s’aider des mains, on monte pour redescendre, cherchant les prochains cairns. Nous sommes seuls dans le calme de la montagne. Le soleil est encore bas et les hautes murailles de pierres qui nous entourent posent sur nous leur ombre légère. Nous chuchotons, soucieux de ne pas troubler cette tranquillité irréelle. Je me sens minuscule.
Au fur et à mesure que l’on s’approche, on devine le chemin qui nous amènera au sommet. C’est un peu comme un mystère dont la solution se dévoilerait progressivement à nos yeux : petit à petit la montagne révèle le chemin menant à son plus haut bastion. Cette randonnée a un petit goût d’aventure et de conquête.
L’ascension finale est impressionnante : le chemin est raide avec des cailloux qui roulent sous les pieds, et par moment il faut escalader. La végétation a disparu. La vue tout autour se fait de plus en plus vertigineuse, les sommets de Pyrénées se découvrent au loin et derrière nous le plat Pays-Basque déroule ses vertes collines. Lorsque je regarde autour de moi, j’ai l’impression que mon sac m’attire vers le vide et mes jambes deviennent flageolantes. Je découvre qu’avec dix kilos sur le dos, j’ai le vertige.
(J’ai déjà précisé que quand Florian me prend en photo c’est qu’il m’attend ?)
On arrive au sommet en même temps qu’un groupe d’espagnols, arrivés d’un autre chemin, qui privatisent bruyamment la cime. On s’installe sur l’antécime, avec une vue à couper le souffle sur les Pyrénées-Atlantique. Nous croquons sans tarder dans notre déjeuner, bien qu’il ne soit que 10h30. Depuis 4h que nous marchons, j’ai l’estomac dans les talons.
La vue est irréelle. Je considère les creux des montagnes, les vallées, les sommets, avec béatitude. J’avais été spoilé par les photos de Mariano sur son site de topo quand on a préparé le trajet, mais de l’avoir sous les yeux c’est évidemment différent. Je mâchonne mon pain, plongée dans une contemplation sidérée. Je n’arrive pas à réaliser que je suis là, tout en haut, après avoir vu ce caillou se rapprocher depuis des jours. J’ai marché, grimpé, sué, jusqu’ici. En partant de la mer, nous avons gravi patiemment chaque mètre pour atteindre ce théâtre de la nature.
J’ai une sensation étrange, comme s’il manquait quelque chose. Une ascension, un paysage pareil, est souvent précédé de tout un rituel constitué entre autres d’une bonne nuit de sommeil et d’un trajet en voiture, il y a une forme de préparation psychologique, dont je me sens totalement dépourvue. On a marché hier, on marchera demain. Les paysages les plus incroyables laisseront place à de longues routes ennuyeuses, les sentiers tranquilles aux bruits de la ville.
Peu à peu, les randonneurs se mettent à affluer autour de nous. Nous prenons la direction du retour, patient face à la colonne de personnes qui montent. En y regardant de plus près, on voit peu de gros sacs à dos, et de nombreux traileurs en baskets ou des familles en rando à la journée. Ça change drôlement du GR10.
Malgré les passages d’escalade et la vue vertigineuse, je trouve la descente plus facile. Alors que l’on rejoint le GR10, le paysage se fait moins minéral. L’herbe et les fleurs reprennent peu à peu du terrain sur les cailloux. L’étape est bientôt finie et nous en profitons pour faire une petite sieste dans l’herbe face aux Orgues de Camplong. Le paysage est grandiose.
Nous nous faisons déloger par une bande d’espagnols bruyants qui se sont installés à quelques mètres à peine pour manger. Comme s’il n’y avait pas assez de place… Nous reprenons la descente jusqu’au refuge de l’Abérouat. C’est un véritable calvaire pour mes genoux. Je serre les dents et j’avance comme un escargot, l’esprit embrumé de douleur et d’angoisse. Vais-je souffrir comme ça tous les jours ? Est-ce que ça va empirer ? Vais-je abimer mon genou de façon définitive ? J’en arrive à me demander si j’ai vraiment mal ou si ce ne sont pas mes angoisses qui prennent le dessus et accentuent mon ressenti. J’ai mal, c’est sûr. Mais quel est le seuil de l’insupportable, ou le seuil de la blessure fatale pour la suite de la randonnée ?
Nous retrouvons sur le chemin Sophie, que nous avions rencontrée la veille à Ste-Engrâce. Je suis admirative de son bronzage uniforme. Elle a une pêche d’enfer et regrette un peu de ne pas avoir fait le Pic d’Anie, ayant promis à ses proches de ne pas faire de détour sur le trajet car elle voyage seule. Elle va plus loin que nous aujourd’hui donc on ne la reverra probablement pas.
Arrivés au refuge, nous profitons d’une canette de soda et des tables de pique-nique pour manger, avant de planter la tente non loin. La vue sur les montagnes est superbe et les Orgues de Camplong nous dominent de toute leur hauteur. Au loin, on arrive déjà à distinguer la silhouette caractéristique du Pic du Midi d’Ossau, avec sa petite dent.
La fatigue écrase Florian, qui s’endort à peine installé dans la tente, et je ne tarde guère à le rejoindre après m’être lavé les dents.
Dimanche 3 juillet – Jour 14
21,55km / 806m D+ / 1737m D-
Ce matin, grasse matinée ! Petit café au refuge avant de descendre vers Lescun. Le temps est un peu couvert, mais pas de pluie. On a retrouvé les chemins au milieu des fougères, vu l’altitude c’est normal. Arrivés à Lescun, on a droit au retour du grand soleil. Mes genoux tiennent le choc pour l’instant, pas trop de douleur.
Nous profitons de la ville pour déjeuner au restaurant. On prend une grosse assiette du randonneur, à s’en péter le bide. Ça fait du bien ! Quelques courses plus tard, nous repartons en direction du plateau de l’Hers. Le trajet est plutôt tranquille, pas trop de dénivelé, c’est reposant.
Une fois au plateau nous attaquons la dernière montée/descente de 800m de dénivelé pour rejoindre Borce et notre journée de pause. Il fait grand bleu et chaud, on est en milieu d’après-midi, ça monte dur au milieu des champs. Les petites fleurs et le paysage me distraient. Je me concentre sur mon souffle, la régularité de mes pas.
L’herbe finit par céder la place à une forêt plus fraiche. Le temps se couvre. Au « sommet », des arbres partout, on ne voit rien. Et alors qu’on entame la redescente, il se met à pleuvoir. De l’orage est prévu pour la fin de journée mais il semblerait qu’il soit un peu plus pressé finalement. On enfile les impers pour éviter de prendre froid avec le vent qui se lève.
Le ciel est tout gris et il fait tellement sombre sous le couvert des arbres qu’on aurait envie de sortir les frontales. La pluie se mue en grêle et le tonnerre retentit. Alors que nous déboulons dans une prairie, l’orage prend de l’ampleur. Minuscules au milieu des étendus d’herbes, les éclairs zèbrent le ciel et le tonnerre tonitruant me tord le fond des tripes. A ce moment-là, je n’écoute plus mes genoux qui grincent, et nous dévalons le sentier. C’est pas le moment de faire les malins !
Sur le chemin, on se retrouve mêlés à un troupeau de brebis qui fuient la grêle comme nous. On distingue le Patou au milieu du troupeau qui guide les bêtes. Il nous ignore jusqu’à ce qu’on quitte le rang pour continuer sur le GR, nous aboyant après pour nous faire revenir dans le troupeau ? Il finit cependant par nous laisser partir. On passe devant la cabane d’Udapet d’en Haut qui est occupée par le berger. Bien qu’on soit trempés, nous continuons notre chemin, peu désireux de le déranger.
On dévale nos 800m de dénivelé en pataugeant dans la boue et en glissant sur les cailloux et nous arrivons finalement à Borce. Nous avions prévu de bivouaquer au bord de l’ancienne voie ferrée, à Etsaut, la ville suivante à quelques minutes de marche. Le gîte d’étape est plein là-bas. Mais par le plus grand des hasards et grâce à la curiosité de Flo, nous dénichons le gîte du Communal de Borce ouvert – alors qu’il était censé être fermé. Nous y sommes accueillis par Yves et Chantal, le couple de randonneurs que nous avions croisés au début de la semaine.
J’hésite quelques instants sur le pas de la porte, trempée comme une soupe, ne sachant pas par quel bout commencer pour me déshabiller sans en mettre partout, avant de retirer prudemment mes couches une par une. Une fois à poil, nous nous extasions sur l’ouverture improbable du gîte. Nous serons seulement 4, alors que le gîte d’Etsaut est complet ! Quel luxe.
Un peu plus tard, Marlène qui s’occupe du gîte arrive pour nous accueillir. Maintenant que nous sommes secs et que la pluie s’est calmée, nous allons faire un tour à Etsaut pour boire un coup au bar. Pour y aller, il faut prendre un petit pont au-dessus d’une départementale. Depuis combien de temps nous n’avons pas vu une route aussi grande ?
A Etsaut, on retrouve avec surprise et joie Anne-Laure, avec qui nous avons passé de nombreux jours au début du GR10. Elle a plutôt petite mine. On discute avec convivialité. Je suis contente de pouvoir lui dire au revoir. Nos pas vont nous détourner du GR10 pour un long moment dans les prochains jours, on ne se reverra plus du tout. Ça fait un peu bizarre de laisser de côté tous ces gens qu’on a rencontrés. Quand on reviendra sur le GR10, on ne connaîtra plus personne du tout.
On rentre dîner au gîte de raviolis, pain et fromage, avec des pêches en dessert. Un vrai lit et le calme d’un gîte vide après une douche bouillante, c’est le paradis.
– Fin de la 2ème semaine –
🏕️ Continuer l’aventure
Notre nouveau goût certain pour les sommets se confirme, alors pendant la prochaine semaine nous n’allons pas chômer ! C’est parti pour grimper sur tout ce qui passe par là !
Je mes suis autant régalé qu’avec le précédent épisode. Tu as vraiment un talent de conteuse et on ne s’ennuie pas une seconde. Comme dans les récits de Jules Verne la légende des illustrations reprend une partie du texte, j’adore! Vite, la suite ! Grosses bises l’aventurière !